Catégories : Eau douce, Afrique de l'Ouest.
Par Thierry Marie, novembre 2006.
Benitochromis nigrodorsalis
(lu 13968 fois)Par Thierry Marie, novembre 2006.
Reproduction de Benitochromis nigrodorsalis :![]()
Mâle Benitochromis nigrodorsalis gardant ses jeunes - Photo de Kevin Bauman.
Au fond des bois de ma région se cachent encore des sources. L'une d'entre elles, ma préférée, a des paramètres physico-chimiques adaptés à la reproduction des Benitochromis. D'ailleurs, chaque année, les catholiques lui consacrent une journée de pèlerinage, célébrant ainsi ses vertus fertiles. Son nom ? La source Sainte Claire : son eau l'est parfaitement.
Passionné par les Cichlidés fluviatiles d'Afrique de l'Ouest, j'avais préparé un bac de 450 litres pouvant accueillir mes quatre Steatocranus tinanti et les cinq Benitochromis nigrodorsalis que j'ai ramené de las bourse de Vichy 2000. A cette époque, ils étaient connus sous le nom de Chromidotilapia finleyi "Moliwe", ce nom a changé depuis la révision du complexe batesii/finleyi par Anton Lamboj en 2001.
J'introduisis les neuf poissons en même temps. Ils s'acclimatèrent parfaitement.
Les Steatocranus tinanti occupant plutôt le fond du bac obligeant les Benitochromis à se montrer en pleine eau. Après un mois d'observation, j'ai conclu que j'étais en possession de trois femelles et de deux mâles dont l'un à la bouche complétement déformée (coup d'épuisette, consanguinité ?).
Il serait visiblement dans l'incapacité d'incuber en cas de reproduction. Par chance, le mâle dominant, qui est magnifique, ne perdit pas de temps. Il choisit la plus belle des femelles. Tous deux formant, du moins je l'esperais, un futur couple...
Déménagement !!!
Je ne vous fais pas de dessin, vous savez ce que c'est. J'isolais le couple dans un bac de 100 litres et ce fut la catastrophe : présence d'un point blanc dans les yeux de la femelle et frottements contre le décor. Trop pressé, trop petit bac, je traitais au vert de malachite. "Ouf, ça passe !" Je décidais de leur retour au bac communautaire, après tout de même un ponte avortée.
Mais la hiérarchie après un mois d'absence ? tans pis, pas d'autre bac, pas le choix.
Le mâle fut accueilli avec bonheur par les deux autres femelles, mais la concurrente fut harcelée. Malgré l'opposition et la protection de "mon mâle" rien n'y fit, elle retomba malade et mourut quelques jours plus tard. La veille du congrès de Grande Synthe, l'oviducte et le spermiducte des deux poissons (formant mon nouveau couple) étaient gonflés. Ils entrèrent en phase de frai : une pierre, préalablement nettoyée par les deux partenaires est choisie comme site de ponte. Ils sont visiblement très excités, la femelle vibre devant le mâle (tête vers le bas) et lui, tournoie autour d'elle, toutes nageoires déployées. Leur région abdominale se colore en rose bonbon. La femelle nettoie une dernière fois la pierre avec sa bouche puis se met à pondre. Le mâle passe et dépose son sperme périodiquement, en fonction des oeufs déposés.
La ponte dure environ 45 minutes.
Ponte sur substrat découvert - Photos de Thierry Marie.
Pendant cette période, tout intrus est repoussé à tour de rôle. Contrairement aux observations de Staeck et de Linke, le mâle n'a pas creusé de cuvette et les oeufs adhèrent parfaitement sur une pierre inclinée. Lorsqu'ils sont fécondés, la femelle les prend en bouche un par un, aidée par le mâle qui les rassemble du bout des lèvres. Je dois dire que ce passage du frai me laissa tout attendri : jusqu'à ce jour je n'avais observé que des frais où le mâle n'intervenait que pour ensemencer les oeufs et foncer sur les intrus trop curieux. Il est arrivé que la femelle incube et ponde encore ; ces oeufs sont alors délaissés (par manque de place dans la cavité buccale de la femelle ?). Ils sont surveillés un temps par les parents, puis hop ! La lumière s'éteint, au lit, demain, debout pour le congrès de Grande Synthe !!!
Dimanche : de retour du congrès, fatigué, les boîtes polystyrène remplies puis vidées, les nouveaux arrivants placés dans leurs bacs respectifs, je soufflais devant mon aquarium préféré. Là , j'observais que la femelle incubait encore, mais il ne fallait pas rêver, ce n'était pas la première ponte et les autres avaient avorté au troisième jour !!!![]()
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Femelles Benitochromis nigrodorsalis - Photo de Kevin Bauman.
Lundi : voilà , la femelle n'incube plus, comme d'habitude ! je suis déçu : j'ai couru les sources, transporté des centaines de litres d'eau à travers les bois avec ma charette, pour avoir un pH à 7, et une dureté totale de 6 tout ça pour rien, encore une incubation avortée...
Mais je ne vois pas les mâle ? L'espoir est permis, Je nourris, il ne sort pas...
Le voilà , il incube !

Et cela, moins de 72h après la ponte... Si je me réfère à l'article de G.W. Barlow traduit par Jérôme Thierry (RFC n°212 - Octobre 2001) ce poisson a un comportement "cedocave matriprime", avec partage des larves. Plus tard, j'ai pu observer également le comportement "iterocave" décrit par C. Cozilis (RFC n°136).
Le mâle incube une semaine et le lundi 15 octobre il semble vouloir creuser au pied de la pierre choisie comme site de ponte. Une demi-heure de travaux sans grand résultat. La femelle s'approche, le mâle crache les alevins, elle les prend en bouche aussitôt. Après quelques décontractions de mâchoire, le mâle plonge sa bouche dans le sable, visiblement il a faim. C'est l'avantage de l'incubation biparentale. 21 alevins sont échangés régulièrement. Tout le groupe passe d'une bouche à l'autre, les plus intrépides sont rappelés à l'ordre par différents "codes" exprimés par des vibrations du corps.
Les alevins ont maintenant deux semaines, ils se promènent tranquilement, en se tenant à 5cm du substrat.
C'est à ce moment qu'ils sont les plus vulnérables.
Visiblement, la proie est alléchante pour un Steatocranus tinanti. Lorsque l'irrémédiable rencontre se produit, le père fait face, tandis que la mère vibre tête inclinée vers le bas. Les petits se collent alors sur le sable, sans même se rassembler. Si le danger est oppressant, elle les prend en bouche. J'ai pu observer ce comportement à plusieurs reprises, il est pratiqué par les deux parents. J'ai pu observer aussi que lorsque les parents se font surprendre par tel ou tel danger ils paniquent et se partagent les alevins, ce qui ne semble pas les satisfaire. Le danger passé, les partenaires se retrouvent et les petits repassent tous dans l'une des deux bouches. Il ne semble pas que le rôle des parents soit très précis à ce moment, l'essentiel étant visiblement que tous les alevins soient réunis dans la même bouche. Malgré la surveillance plus qu'attentive des parents, les jeunes n'échappèrent pas à la gueule béante de la décantation !
Il n'est pas facile de siphonner ou de capturer à l'épuisette des alevins pris en bouche à la moindre alerte. Pas question non plus de démonter tout mon décor pour récupérer le fruit d'une reproduction dont la valeur ne vaut pas le confort de mon bac et la tranquilité de mes poissons.
La vraie richesse étant pour moi l'acte et la réussite de la reproduction.![]()
Mâle Benitochromis nigrodorsalis - Photo de Kevin Bauman.
Malgré cet accident, j'ai pu sauver, sans trop d'effort, neuf petits qui, bien soignés, ont atteint 40 jours plus tard (alors que le couple frayait de nouveau), la taille respectable de 1,5 cm.
Un petit détails : 2001 fut dans la Manche, une année pleine de soleil et de chaleur, ce qui m'a permis de débrancher ma résistance. La température est tombée à 21 °C et les reproductions se succèdent.
J'ai pris beaucoup de temps pour écrire cet article mais j'y ai pris aussi énormément de plaisir, j'ai repris en mains mon vieil appareil photo, j'en ai même acheté un nouveau.
Il y a tellement longtemps qu'il est commencé cet article, ques mes 9 alevins et d'autres encore ont bien grandi. Ils sont actuellement dans le 700 litres du salon.
Ce qui étonne lorsque l'on maintient ce poisson c'est de voir que les jeunes (à partir de 3 mois) arborent des barres longitudinales alors que leurs parents, eux, présentent des barres verticales en cas d'excitation. Par contre, en période de stress intense, ils reprennent leur couleur juvénile qui, forcément, est moins admirable.
Si vous aussi vous aimez et vous éclatez avec des fluviatiles de l'Ouest africain, contactez-moi pour des échanges de conseils ou de poissons. Même si les poissons d'Afrique occidentale ne sont pas légion dans les bacs des cichlidophiles, leur comportement est remarquable et leur présence dans les bourses trop rare.
L'aquarium
Un bac de 450 litres équipé d'un décor intérieur résiné (résine non alimentaire) couvrant les 3 vitres intérieures. Une pompe à turbine (1200 l/h), filtre à décantation sur mousse bleue et perlon. Un pompe à air (sucre placé sans la décantation, débit important). Une resistance de 300 Watts.
Texte : Thierry Marie (AFC 1697.50)
Texte paru dans la R.F.C. n°228.
Photos : Kevin Bauman (www.african-cichlid.com)