" Croisière au fil du lac Tanganyika, ses trafics et ses champs de bataille. "




Le vénérable MV Liemba est en cale sèche pour la révision annuelle, il expose sa rouille et ses chaloupes dans le port de Kigoma en Tanzanie. C'est le MV Mwongonzo qui va m'emmener ce soir au bout du plus long lac du monde, le Tanganyika, 700 kilomètres plus au sud. Sans battre de record de vitesse.

Si le lac Victoria a tout d'une mer intérieure, le Tanganyika ressemble à un fleuve tranquille. Il est large de 50 kilomètres seulement en moyenne, ce qui le rend très accessible à la navigation pour les riverains.

Au village de Kibirizi, à deux kilomètres de Kigoma, des boutres par dizaines sont parquées sur la plage. Une foule d'ouvriers plantent des clous et des rivets dans le bois, pilent et enfoncent une boue étanche entre les planches des bateaux. Des vaches vont s'abreuver dans le lac et les pêcheurs recousent leurs filets. Les bateaux à voile rentrent au port dans l'après-midi, ceux qui sont pourvus d'un moteur partent en groupe jeter leurs filets à la tombée de la nuit.

Les moteurs les plus puissants équipent les bateaux de marchandise.





En face le Congo s'étend sur toute la rive ouest du lac. On aperçoit à l'oeil nu les collines du Fizi, la région des mines d'or. Durant la guerre du Congo qui a débuté en 1998, certains de ces bateaux faisaient la navette, transportant des sacs de manioc et de maïs dans lesquels étaient dissimulés des fusils et des munitions. Ils revenaient avec de l'or et des diamants. Des accords de paix ont été signés en 2003 à Pretoria mais beaucoup de réfugiés se trouvent encore ici en Tanzanie. Et d'après les regards crispés qui m'accompagnent sur cette plage, je doute que ce trafic aie cessé aujourd'hui.

Lac Tanganyika Le MV Mwongonzo lève l'ancre à la tombée du jour. Il ne s'arrêtera dans le prochain port que 36 heures plus tard à Kasanga, avant la frontière avec la Zambie. Mais ses nombreuses escales mobiles se chargent de rompre la monotonie du voyage : chaque trois heures le bateau s'arrête à 200 mètres de la rive. Des barques affluent vers lui, chargées de passagers, de sacs, d'ananas, de poules et de vélos. Les voyageurs embarquent et débarquent, les marchandises sont transbordées. Cela ne se fait jamais en silence. Dans chaque barque il y a au moins un préposé à l'évacuation de l'eau avec un petit récipient. C'est dans ces conditions, au beau milieu de la nuit, que je salue des touristes qui vont dans le parc national de Gombe où Jane Goodhall a commencer à étudier les chimpanzés depuis 1960. Je resterai alors le seul blanc à bord.





Le navire glisse le long de la côte tanzanienne. L'oeil s'habitue à l'obscurité, je devine le profil des collines où apparaissent quelques lumières isolées et parfois des feux qui rougeoient autour d'un village. Les physionomies changent durant le voyage, différentes ethnies se succèdent sur les rives. Au petit matin je croise deux cousins de Mike Tyson, enfin deux types qui lui ressemblent vraiment.

A la lumière du jour la rive devient carrément belle : c'est une succession de criques et de plages de sable fin sous les collines. Les infrastructures touristiques pour y passer du bon temps sont réduites au strict minimum : deux hôtels à Kigoma, puis plus rien jusqu'en Zambie. La raison principale est que le lac se trouve à l'extrême ouest du pays, très loin de Dar Es Salaam et des centres touristiques d'Arusha et du Kilimandjaro. L'autre raison se situe 50 kilomètres en face, sur la rive du Congo.

Je me souviens avoir marché sur des plages semblables sur les traces des Maï Maï qui venaient de terminer leur guerre contre l'armée rwandaise. Les Maï Maï sont ces guerriers qui pensent avoir des pouvoirs magiques les rendant invulnérables aux balles. Ils défendaient une route qui longeait le lac, surplombée par une colline. Aucun Mai Mai se sait nager. Pourtant certains s'immergeaient dans l'eau jusqu'à mi-taille ; d'autres se cachaient dans l'épaisse végétation de la forêt et ensemble ils tendaient des embuscades aux patrouilles motorisées de leurs envahisseurs. Combien de leurs cadavres ont été rejetés dans le lac qui grouille de poissons et de crocodiles ? Plages féeriques et sanglantes. Tout est à construire ici.

Le MV Mwongonzo continue sa route sans encombres le long du Tanganyika, ses trafics et ses champs de bataille. Le navire tanzanien offre un nombre appréciable de services : un bar avec des boissons gazeuses et de la bière, un buffet trois fois par jour et des fruits frais. Le voyage peut être confortable, à condition de s'habituer à l'odeur d'urine dans les toilettes.




Aspects pratiques

* Dimensions du lac : surface : 32'900 km2, longueur 673 km, largeur moyenne 50 km, profondeur maximale : 1'470 mètres. C'est le plus long lac du monde, le second en profondeur après le Baikal.
* Pays limitrophes : Burundi, Tanzanie, Zambie et République Démocratique de Congo
* Trajet : embarquement à Kigoma près de la frontière du Burundi, 600 km de navigation jusqu'à Kasanga, à deux pas de la Zambie.
* Durée du voyage : 36 heures
* Prix : 55$ pour le voyage avec une cabine
* Quand : départ du MV Mwongonzo ou du MV Liemba chaque mercredi à 16:00, les billets s'achètent au port dès le jour précédent.

Références

* Charles Nasibu Bilali, "Qui arme les Mai Mai ?", grip.org


Texte et photos : Christian Chablais (2006)


NDLR : Retrouvez Christian sur le site de l'association : Carte Blanche