Un cargo sur le lac Victoria

" Traversée du lac Victoria, 400 km sur le cargo MV Umoja depuis Mwanza en Tanzanie jusqu'aux abords de Kampala en Ouganda. La même route qu'a suivie le MV Kabalega la semaine précédente - avant de couler. "




Port de Mwanza au sud du lac Victoria, en Tanzanie : au 3ème bureau je tombe sur l'officier du port, un certain Bernard. Il a le corps enveloppé d' Eddy Murphy dans "Dr DoLittle", ce qui est un standard en Amérique du nord, mais une curiosité ici. Mon projet est de traverser le lac direction nord jusqu'en Ouganda. Comme il n'existe pas de transports de passagers, la seule possibilité est de trouver une place sur un cargo. Le bon Bernard pense pouvoir arranger le coup pour ce soir et suggère de revenir dans quelques heures pour les formalités douanières.

Retour au centre de Mwanza, cette ville en pleine expansion avec ses usines qui conditionnent la perche du Nil pour l'exportation. Le taxi tombe en panne ; je change des chèques pendant que le chauffeur remplace la batterie. Des Masaï, toujours en groupe de deux, passent devant la banque, un bâton à la main, les oreilles percées d'un trou immense. Il fait beau, j'en profite pour manger un barbecue sur une terrasse. La serveuse donnera ce qui reste de mes frites grasses à un enfant mendiant.

Je vois l'officier de l'immigration en début de soirée, c'est une femme. Elle refuse de me laisser partir sur le cargo. J'insiste. Elle veut un lettre de l'officier du port. Bernard promet de trouver une solution, je lui promets une compensation. Petites affaires portuaires.

Une épave rouille dans la baie, la nuit tombe et les moustiques se déchaînent. J'attends avec 20 dockers devant le bureau de l'immigration. Parmi eux il s'en trouve un qui est clairement soûl et un second au comportement agressif : il veut absolument que je lui parle en swahili. Je feuillette quelques pages de mon guide pour y trouver des phrases qu'il comprenne, roule quelques cigarettes qui seront distribuées à la cantonade. L'atmosphère se détend.

A 22 heures c'est le branle-bas de combat: le MV UMOJA entre dans le port.



Le "chief officer" qui s'occupe des passagers sur ce cargo s'appelle Rose, une capitaine au sourire franc, la seule femme à ce poste en Tanzanie. Elle me promet une place à bord et liquide avec énergie les tracasseries douanières.
C'est la course sur le quai. Les dockers transportent des ballots de marchandise, le capitaine déplace le bateau pour aligner les rails du quai sur ceux du pont inférieur. Quatre rangées de wagons sont poussées sur les 97 mètres de la longueur du cargo. Il n'y a plus un espace libre lorsque le bateau quitte le port à 1 heure du matin.

Cargo sur le lac Victoria La nuit est belle, le MV UMOJA se faufile entre les îles au large de la côte, il suit la route tracée par des balises lumineuses placées sous l'eau. Une boutre croise notre route ; un pêcheur profite de faire le singe tant qu'un projecteur l'éclaire depuis notre pont supérieur. Puis c'est le calme et la nuit sous les étoiles.

Les voyageurs sur les cargos ont le privilège de manger avec le capitaine et les officiers. Ce sont des gens éduqués et leur conversation est souvent édifiante. J'apprends au petit déjeuner qu'il y a une semaine de cela un cargo semblable au notre a coulé sur ce lac. A quatre heures de navigation d'ici. Deux navires ougandais sont entrés en collision, l'un d'eux a sombré mais ses passagers seraient saufs. Personne ne comprend comment une chose pareille a pu arriver.



La Cpt Rose s'occupe de la navigation sur le bateau. Elle a l'obligeance de me faire visiter la cabine de pilotage, me démontre l'usage du GPS et du radar qui détecte les obstacles, îles ou bateaux, sur plus de 100 kilomètres. Quelques points suspects apparaissent sur l'écran : elle m'apprend qu'il s'agit de colonnes de mouches. Je les vois à l'oeil nu depuis le pont, elles s'élèvent comme des tornades jusqu'à toucher les nuages. On me promet l'enfer si le navire croise leur chemin.

Le lac est tranquille, la barreur tient le cap à 35 degrés Nord. Je n'ai plus aperçu la côte depuis le départ de Mwanza. Le Victoria ressemble à une mer, avec des vagues minuscules et sans le goût du sel.

Le cargo avance vite, son moteur puise dans une réserve de 1'200 tonnes de diesel. Bavardages avec l'équipage. Paul, un marin tanzanien, confie qu'il a eu l'occasion de visiter l'Ouganda il y a 20 ans, lorsqu'il était soldat. En fait, c'était durant la guerre, disons les choses comme elles sont. Tandis qu'il me décrit son voyage, je réalise qu'il a participé à la contre attaque de l'armée tanzanienne après l'invasion du pays par Didi Amin Dada. Les tanzaniens ont pris Kampala puis sont remontés jusqu'à Fort Portal, causant la chute du plus célèbre dictateur d'Afrique noire.



Le MV UMOJA dépasse les Ssese Islands, puis débarque à Port Bell, situé à 30 kilomètres de Kampala. Les formalités d'immigration sont beaucoup plus simples ici : il n'y a personne à la douane. Je repasserai le lendemain faire tamponner mon passeport.

Durant les 16 heures qu'a duré de cet excellent voyage, le cargo a croisé un seul bateau : la coquille de noix des pêcheurs près de Mwanza. Le lac Victoria a une largeur de 355 kilomètres. Alors, comment ces deux cargos ont-ils pu entrer en collision la semaine dernière ?


Aspects pratiques

Dimensions du lac Victoria : surface : 68'800 km2, longueur 412 km, largeur 355 km, profondeur maximale : 84 mètres. C'est le plus grand lac d'Afrique, le second au monde.

* Pays limitrophes : Kenya, Tanzanie et Ouganda
* Trajet : embarquement au port de Mwanza en Tanzanie, arrivée 400 km plus loin à Port Bell près de Kampala, capitale de l'Ouganda.
* Durée du voyage : 16 heures. Il n'y a pas de halte.
* Prix : 40$ pour le voyage et location d'une cabine sur le MV Umoja.. 5-10$ pour les repas sur le bateau.
* Quand : départ chaque jour sous réserve de mauvais temps, de tracasseries douanières ou de naufrage
* Contact : Bernard, le "port officer" de Mwanza, peut être utile.




Sous partie : Le naufrage du MV Kabalega

" Le parlement de Kampala auditionne le capitaine du MV Kabalega après le naufrage de son cargo. "


Le 24 mai 2005, le parlement ougandais auditionne le capitaine du MV Kabalega. Contrit, celui-ci reconnaît ne pas être suffisamment formé pour ce poste, précisant n'avoir jamais "suivi de cours professionnels". Il nie cependant avoir été endormi au moment de la collision, certifiant qu'il a "entendu un grand bruit" au moment du choc.

La perte de ce navire est un coup dur pour l'Ugandan Railways Company, propriété de l'état. C'était un des 3 cargos de la flotte commerciale du pays sur le lac Victoria, et comme il n'y a plus de chemins de fer en Ouganda, et que le Kaawa a été sévèrement touché dans l'accident, l'activité de la compagnie marque un temps d'arrêt. Cette situation profite à la Tanzanie et au Kenya, qui exploitent chacun un cargo en état de marche sur le Victoria.

Le capitaine du Kabalega informe le parlement que, tout en étant éveillé, il n'a pas vu arriver le Kaawa parce que toutes les lumières à son bord étaient éteintes ; il en allait de même sur le Kaawa, car c'était devenu une habitude de voyager tous feux éteints sur cette route. Les radars de la cabine de pilotage n'ont de leur côté rien signalé parce qu'ils étaient hors service. Sur les deux bateaux.

Comme le vaisseau gît à moins de 50 mètres de profondeur, le parlement étudie la possibilité de le renflouer avec l'aide d'une société étrangère. En attendant le pays essuie une perte sèche, ni le cargo - d'une valeur de 8 millions de dollars - ni sa marchandise n'étant assurés. Les polices d'assurance des 3 cargos de la compagnie d'état n'avaient pas été renouvelées à fin 2004.

Aujourd'hui le MV Kaawa est en cale sèche pour évaluer les dégâts. Quant au vaisseau intact, le MV Pamba, il reste à quai jusqu'à ce qu'il soit de nouveau assuré. Des réparations s'avèrent nécessaire.


Texte et photos : Christian Chablais (2006)


NDLR : Retrouvez Christian sur le site de l'association : Carte Blanche