Un clown en eau douce : Eretmodus cyanostictus


Eretmodus cyanostictus "Kigoma" Sauvage - Sébastien Bochenko.


Eretmodus cyanostictus est un cichlidé du lac Tanganyika que l'on rencontre occasionnellement dans les bacs de vente des commerces aquariophiles. Son faciès clownesque est souvent ce qui nous décide de franchir le pas et de l'acheter. Et on ne le regrette jamais. Il est aussi appelé "cichlidé gobie" car sa nage est semblable à celle des gobies marins. On peut le trouver partout dans le lac Tanganyika sous plusieurs variétés différentes : son patron de coloration varie considérablement selon le lieu de capture.
Il se plait dans la zone supérieure de l'eau, c'est à dire ce qu'Ad Konings appelle "l'habitat superficiel houleux". Il est rarement rencontré à plus de trois mètres de profondeur. Là, les E. cyanostictus vivent par couples mais ils ne défendent pas de territoire bien particulier. Comme ils ont colonisé les rives rocheuses de très faible profondeur, on peut ironiser en disant que c'est le seul cichlidé du lac que l'on peut capturer sans mettre un pied à l'eau !

Un des principaux attraits de ces poissons, hormis le fait qu'ils aient un aspect comique et un mode de reproduction passionnant, est sa robe aux couleurs attrayantes. Mes spécimens, qui viennent de la Côte du Burundi, ont le corps et la tête de couleur jaune foncé traversé par neuf à dix bandes verticales marron. Le sommet de la dorsale est parcouru par un liseré rouge orangé qui conclue aussi l'extrémité supérieure de la nageoire caudale. Cyanostictus est un mot d'origine grecque composé de "kyaneos" signifiant bleu et "stigma" voulant dire marque. En effet, le contour de la bouche est bleu et quelques taches de la même couleur parcourent la tête. Leurs couleurs s'intensifient au cours du frai et ils deviennent alors vraiment magnifiques. Il m'a été donné un jour de voir des E. cyanostictus "Bemba" (lieu de pêche sur la côte zairoise du lac) qui présentaient un corps plutôt brun mais parsermé d'une multitude de taches d'un bleu turquoise électrique. La présence plus ou moins prononcée de cas taches bleues varie selon la localité de pêche des poissons.


Eretmodus cyanostictus "Kigoma" Sauvage - Sébastien Bochenko.


Dans le lac, les Eretmodus vivent au sommet des rochers et passent leurs journées à en racler la riche couverture biologique pour détacher des particules d'algues. Ils avalant en même temps de minuscules invertébrés qui y trouvent refuge. Leur habitat qui reçoit une intense luminosité du fait de la très faible profondeur se voit recouvert d'algues ou Aufwuchs et c'est ainsi qu'ils mangent à leur faim. D'ailleurs, on peut remarquer que leurs dents orangées qui dépassent de la bouche sont parfaitement étudiées pour racler les surfaces. En aquarium, il reproduit ce comportement en raclant les vitres, les rochers, les larges feuilles d'Anubias barteri avec plus ou moins de satisfactions pour le possiesseur de l'aquarium !

Sa facilité de capture dans le milieu naturel est la raison pour laquelle les spécimens que l'on trouve dans les commerces aquariophiles sont neuf fois sur dix des sauvages, ce qui n'est pas sans poser de problèmes. En effet, le fait d'introduire des poissons d'origine sauvage dans l'aquarium est souvent un facteur d'introduction de germes pathogènes tels que l'hexamitose ou "maladie des trous dans la tête" contre lesquels ils sont presque immunisés mais ce qui n'est pas le cas des autres poissons de l'aquarium issus d'une souche d'élevage. C'est pourquoi il faut TOUJOURS traiter préventivement des poissons d'origine sauvage dans un bac de 200 litres en utilisant du Metronidazole (FLAGYL). Il est délivré sur ordonnance. On suggère 10 mg par litre et on traitera de préférence trois fois avec 48 heures d'intervalle entre chaque traitement en gardant le bac à l'obscurité complète. Il vaut mieux prévenir que guérir...

Alimentation :

Son comportement alimentaire dans la nature nous dicte la marche à suivre pour le nourrir en aquarium. Nous devons prendre en compte sa spécialisation végétarienne. Les poissons végétariens ont un appareil digestif particulièrement long alors que les poissons piscivores en ont un très court. Ainsi si on nourrit les Eretmodus avec des vers de vase ou du coeur de boeuf, on signe à plus ou moins long terme leur arrêt de mort. Au contraire, il faut inclure dans le menu une large fraction végétale avec des paillettes contenant de la chlorophylle ou de la spiruline par exemple. On peut aussi préparer une mixture "maison" à base de crevettes roses, d'épinards ou de petits pois (qui offrent une granulométrie plus grosse) mixés. Il est aussi bon de leur proposer des mysis et des cyclopes. Ad Konings, grand spécialiste des cichlidés qu'il est, précise qu'il faut éviter de les nourrir avec des artémias qu'il juge trop "molles" et qui "peuvent déranger leur système digestif. Alors prudence... En tous les cas, E.cyanostictus est un poisson gourmand. A la fin du repas, vous le verrez repartir avec un ventre bien rebondi. Attention tout de même à ne pas polluer l'eau de l'aquarium pour satisfaire son appêtit de glouton.


Eretmodus cyanostictus "Kigoma" Sauvage - Sébastien Bochenko.


Maintenance :

L'étude de son milieu naturel nous permet de faire une autre déduction quant à sa maintenance en aquarium : vivant très près du bord, les Eretmodus sont en permanence en contact avec le ressac. Ainsi, ces cichlidés gobies se sont adaptés au cours de leur évolution aux fortes turbulences de leur habitat. Ils ont donc une forme ramassée avec un ventre assez plat qui leur permet de se plaquer contre les rochers quand les remous se font violents. Leur vessie natatoire est vestigiale, de ce fait, les Eretmodus sont de piètres nageurs et se déplacent par bonds sur le substrat. On ne peut les voir nager en pleine eau que lors de la distribution quotidienne de nourriture. En aquarium, il ne faut évidemment pas recréer les conditions de turbulences de son milieu naturel (gare aux débordements ! ) mais ces remous ont des effets sur la chimie de l'eau qu'il convient de respecter au cours de la maintenance en aquarium. Ils maintiennent le pH à une valeur supérieure à 8,2 et le taux d'oxygénation de l'eau à son maximum. On utilisera donc en général une eau de conduite dont la dureté, ici exprimée en degrés français, sera comprise entre 20 et 24 et qui sera alcaline : 8,0 de pH et plus. On veillera à ce que le débit de rejet de la pompe de filtration ait une valeur approximative à trois fois le volume du bac par heure. De plus le recours à une pompe à air est impératif faute de quoi vos poissons vous montreront que l'eau est insuffisamment oxygénée en faisant battre intensivement leurs ouïes.


Eretmodus cyanostictus "Kigoma" Sauvage - Sébastien Bochenko.


On choisira donc d'introduire un groupe de six Eretmodus cyanostictus dans un aquarium de 240 litres et on laissera se former un couple, les autres spécimens seront alors retirés. Un couple peut se satisfaire (à condition qu'il soit seul) d'un aquarium de 150 litres. Une méthode valable pour sexer un couple est la fameuse technique de la "retournette". En effet, comme le dimorphisme sexuel est inexistant (si ce n'est qu'à l'âge adulte le mâle se distingue par une plus grande taille : 8 centimètres contre 6,5 pour sa compagne), on peut examiner leurs orifices génitaux en les retournant. L'orifice génital (le plus près de la nageoire anale) est plus large que l'anal chez la femelle ; cette technique est applicable à tous les poissons. Les Eretmodus forment des couples unis et fidèles. Ces poissons sont très turbulents avec les espèces conspécifiques c'est pourquoi il est recommandé de les maintenir par couples.

Reproduction :

Quand un couple est sur le point de se reproduire, il choisit généralement une pierre plate au-dessus de laquelle se déroule un étrange manège. Les deux partenaires se tiennent côte à côte et la femelle tourne sur place en faisant de petits cercles. A chacun de ses tours elle va pondre un ou plusieurs oeufs qu'elle va récupérer au tour suivant et ainsi de suite. Le mâle lui aussi tourne sur place et émet sa laitance là où la femelle pond ses oeufs. La fécondation des oeufs semble avoir aussi bien lieu sur le lieu de leur collecte que dans la bouche de la femelle qui mordille la nageoire anale du mâle et doit donc avaler sa laitance Entre dix et trente oeufs sont pondus. Ils vont être gardés en bouche par la femelle pendant les douze premiers jours suivant la ponte. Au lieu d'avoir à faire à un classique incubateur buccal de type maternel, Eretmodus cyanostictus est un incubateur buccal biparental. Ce mode de reproduction constitue chaînon intermédiaire entre les pondeurs sur substrat découvert et les incubateurs buccaux de type maternel. Après les douze premiers jours d'incubation, la femelle va fair comprendre au mâle qu'elle va lui remettre les larves. Les oeufs n'ont effectivement pas encore atteint le stade final de leu developpement. Ils n'ont d'alevin qu'une tête minuscule et une queue très fine. Entre ces deux parties de leur corps on Observe un gros sac vitellin dont ils se nourrissent. Le couple procède donc à un échang des larves. Le mâle va donc les récupérer et les incuber pendant encore douze jours. Passé cette date, il va relâcher des alevins qui sont déjà des copies conformes des parents et qui mesurant 8 à l0 mm. Dès ce jour les parents ne vent plus s'occuper d'eux. Lors des premières pontes la femelle peut incuber les oeufs du fait de Son inexpérience, toute seule pendant 24 jours mais tout rentrera dans l'ordre après deux ou trois pontes. On peut alors capturer les jeunes pour les élever à part ; il faut les nourrir avec des nauplii d'artémias puis des cyclopes et des paillettes réduites en poudre.

Conclusion :

Si vous avez la chance de trouver des Eretmodus cyanostictus chez un détaillant aquariophile et que vous avez un aquarium de libre pour eux, n'hésitez pas une seconde car ces clowns d'eau douce vous raviront par leur comportement de plus, ils offrent un mode de reproduction captivant.

Bac type avec des Eretmodus cyanostictus :

L'aquarium aura las dimensions suivantes: 150-50-60 soit 400 litres bruts.
Un groupe de 6 E.cyanostictus.
Un couple de Neolamprologus brevis.
Un groupe de 8 Xenotilapia ochrogenys.
Et au choix: 12 Cyprichromis leptosoma ou 12 Lamprictitys tanganicanus.

Les N.brevis vivent strictement Par Couples et se contenteront d'un territoire très restreint, il faudra leur offrir une ou deux coquilles (suffisamment grosses pour que le mâle puisse y entrer). Les X.ochrogenys sont des filtreurs de sable c'est pourquoi ce substrat devra être le plus fin possible. Les E.cyanostictus seront gardés ensemble jusqu'à ce qu'un couple se forme alors on retirera las autres spécimens. La pleine eau sera occupée par des C.leptosoma ou des killies du Tanganyika c'est à dira les L.tanganicanus. Le d?écor sera très sommaire car il faut offrir aux X.ochrogenys la plus grande superficie au sol possible. Les N.brevis seront donc installés contre l'une des parois latérales du bac. Les Eretmodus coloniseront tout naturellement un petit tas de pierres aménagé au fond de l'aquarium.

Eretmodus, Spathodus, Tanganycodus : Un air de famille Ces trois espèces du lac Tanganyika sont des cichlidés gobies et ont beaucoup de traits en communs. Les Tanganicodus irsacae Sont les plus petits de la famille gobie, ils sont également plus minces : les mâles mesurent 6,5 cm et les femelles 5,5 cm. Leurs dents sont étudiées pour déloger les macrovertébrés et les invertébrés des algues et des crevasses à la surface des rochers. Ils présentent plus de taches bleues sur le corps. Les Spathodus sont de taille égale aux Eretmodus sauf pour l'espèce S.marlieri qui atteint 8,5 à 9 cm pour les mâles et qui est aussi beaucoup plus grégaire dans le lac. S.marlien présente une robe marron terne et sans taches bleues.


Texte : Naoufel Dekhli
Photos : Sébastien Bochenko

NDLR : Naoufel vous invite cordialement à visiter le site du club aquariophile CATSS